Notes pour une allocution devant le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes

L'honorable Jean-Pierre Plouffe - Commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications

Le 30 janvier 2018

L'allocution définitive fait foi

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je suis heureux de comparaître devant ce comité au sujet du projet de loi C-59. Je suis accompagné par monsieur Bill Galbraith, directeur exécutif de mon bureau, et par Me Gérard Normand, conseiller juridique spécial.

Je suis le commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications (le CST) depuis plus de quatre ans qui est responsable de procéder à des examens concernant les activités du CST pour en contrôler la légalité, y compris en ce qui concerne la protection de la vie privée des Canadiens et des personnes qui se trouvent au Canada. Je suis juge à la retraite de la Cour supérieure du Québec et de la Cour d'Appel de la Cour Martiale. La loi exige en effet que le commissaire du CST soit un juge surnuméraire ou à la retraite d'une cour supérieure. Mon mandat actuel prendra fin à la mi‑octobre cette année.

Cependant, une fois que le projet de loi C-59 aura reçu la sanction royale, mon rôle changera pour devenir une toute nouvelle fonction dans le domaine du renseignement au Canada.

En effet, le commissaire ne procédera plus à l'examen des activités du CST après coup. Le commissaire au renseignement exercera plutôt un rôle quasi‑judiciaire d'examen et d'approbation des autorisations délivrées par les ministres pour certaines activités du CST et du SCRS avant que ces activités ne puissent être menées. Plus précisément, le commissaire devra déterminer si les conclusions du ministre sur lesquelles repose l'autorisation de l'activité sont raisonnables. Il s'agit là d'un rôle crucial, qui vise à assurer l'examen quasi‑judiciaire des activités menées par les organismes du renseignement qui peuvent avoir une incidence sur la Charte et/ou la vie privée.

La partie 2 du projet de loi C-59, la Loi sur le commissaire au renseignement, prévoit expressément la transition du rôle du commissaire du CST au nouveau rôle de commissaire au renseignement. Les fonctions d'examen a posteriori des activités du CST dont je m'acquitte actuellement incomberont au nouvel Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, tel qu'il est également proposé dans le projet de loi C‑59.

J'ajoute que le projet de loi exige aussi du commissaire au renseignement qu'il soit un juge à la retraite d'une juridiction supérieure, ce qui est indiqué compte tenu de la fonction quasi‑judiciaire du nouveau poste. Par contre, le projet de loi ne prévoit pas la possibilité de nommer un juge surnuméraire, comme c'est le cas dans la Loi sur la défense nationale pour le commissaire du CST. Je suis d'opinion que le projet de loi devrait maintenir cette possibilité de nommer un juge surnuméraire, en partie pour assurer un meilleur bassin de candidats potentiels. J'étais un juge surnuméraire lorsque j'ai été nommé commissaire du CST, et je me suis retiré comme juge de la Cour Supérieure peu de temps après.

Avant l'audience, j'ai présenté au Comité une copie de propositions d'amendements au projet de loi C-59. Je vais vous soumettre aujourd'hui deux listes comprenant des propositions d'amendements substantielles et techniques que j'ai déjà envoyées aux ministres Goodale et Sajjan en décembre dernier. Je soulignerai dans mon allocution plusieurs de ces propositions.

Le processus que le gouvernement a choisi d'adopter pour ce projet de loi revêt de l'importance en ce qu'il permet d'accueillir, comme l'a dit le ministre Goodale, la présentation de nouvelles idées et d'autres suggestions, avant la Deuxième lecture en Chambre.

Dans ce contexte, je traiterai des changements que je propose à trois parties de ce projet de loi: la partie 2, la Loi sur le commissaire au renseignement, la partie 3, la Loi sur le Centre de la sécurité des télécommunications, et la partie 4, qui modifie la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité.

J'estime qu'en règle générale, le projet de loi est bien rédigé et « bien ficelé », et qu'il répond à plusieurs recommandations mis de l'avant par mes prédécesseurs et moi-même. Par contre, je crois toutefois, après l'avoir analysé en profondeur et après avoir discuté avec des hauts fonctionnaires et les organismes directement concernés, que certaines modifications devraient être proposées.

Je décrirai donc sept propositions sur le fond que je considère comme les plus importantes parmi celles que j'ai proposées.

  1. Premièrement, j'estime que le commissaire au renseignement devrait jouer un rôle dans l'approbation des autorisations de cyberopérations actives du CST ainsi que des cyberopérations défensives, opérations qui pourraient aussi touchées à des intérêts de nature privée. Certains commentateurs ont fait remarquer qu'il s'agit là d'un nouveau mandat très étendu pour le CST et qu'il est trop permissif. En comparaison, la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité exige du SCRS qu'il porte, dans certains cas, l'affaire devant un juge de la Cour fédérale afin d'obtenir un mandat pour des activités similaires.

  2. Deuxièmement, tel que le projet de loi est libellé actuellement, la décision du ministre de prolonger d'une autre année la période de validité d'une autorisation touchant le renseignement étranger ou la cybersécurité délivrée au CST n'est pas assujettie à l'approbation du commissaire au renseignement. J'estime que le commissaire devrait être impliqué dans cette demande de prolongation étant donné qu'il aura joué un rôle dans l'approbation de l'autorisation initiale. Autrement, la période de validité de toute autorisation serait effectivement pour une période de deux ans.

  3. Troisièmement, les « autorisations en cas d'urgence » délivrées au CST par le ministre qui touchent le renseignement étranger et la cybersécurité devraient également être assujetties à l'examen du commissaire tout de suite après leur délivrance. Une telle approche serait similaire à celle qui se retrouve dans la loi britannique intitulée Investigatory Powers Act. Sous cette loi, la période de validité des autorisations en cas d'urgence est de cinq jours, tout comme dans le projet de loi C-59; sous la loi anglaise, le commissaire judiciaire en Grande-Bretagne est appelé à réviser et décider de l'approbation de la mesure d'urgence à l'intérieur de ce délai.

    Un peu comme les « autorisations en cas d'urgence » pour le CST, « des situations d'urgence » sont prévues dans les dispositions du projet de loi C‑59 concernant le SCRS, où le directeur du SCRS peut autoriser l'interrogation d'un ensemble de données et où le commissaire doit examiner et approuver l'autorisation du directeur.

  4. Quatrièmement, j'estime que le commissaire devrait avoir le pouvoir, lorsqu'il se livre au processus d'examen et d'approbation, de demander des précisions sur les renseignements qui lui sont présentés et qui ont été utilisés par le ministre pour rendre sa décision. Sans cette capacité, le commissaire, s'il s'interroge sur certains renseignements, pourrait bien n'avoir d'autre choix que celui d'établir que la conclusion du ministre sur laquelle repose l'autorisation n'était pas raisonnable. La possibilité de demander des précisions pourrait ajouter un certain niveau de souplesse au processus et le rendre plus efficient.

  5. Cinquièmement, à mon avis, le commissaire au renseignement devrait pouvoir approuver une autorisation sous certaines conditions, et il appartiendrait alors au ministre d'accepter d'ajouter la condition définie par le commissaire, sans quoi il ne pourrait être satisfait au critère du caractère raisonnable. Cette proposition, tout comme la précédente, conférerait une certaine souplesse au processus et le rendrait plus efficient.

  6. Sixièmement, le commissaire au renseignement devrait établir un rapport annuel public à l'intention du premier ministre qui serait déposé devant les deux chambres. Un tel rapport marquerait bien l'indépendance du commissaire et renforcerait la transparence et la confiance du public.

  7. Finalement, le pouvoir de réglementation devrait être enchâssé dans la Loi sur le commissaire au renseignement pour permettre la prise de règlements à l'égard de la loi ainsi qu'à l'égard de questions précises.

Permettez-moi maintenant de souligner quelques propositions de modifications de nature technique.

  1. Le libellé du paragraphe 23(1) de la Loi sur le commissaire au renseignement devrait être clarifié pour que soit précisé ce qu'incluent « les renseignements dont elle [le ministre] disposait » qui sont fournis au commissaire au renseignement pour son examen. Comme vous le verrez dans mes propositions, je crois que ce genre de détails pourrait se retrouver dans les règlements.

  2. Le libellé de l'article 25 de la Loi sur le commissaire au renseignement prévoit que le commissaire au renseignement peut recevoir du CST, du SCRS ou des ministres responsables de ces deux organismes de l'information qui n'est pas directement liée à un examen précis mené par le commissaire au renseignement pour assister le commissaire au renseignement à mieux comprendre les activités des agences ainsi que l'assister dans l'exercice de son rôle. Dans le projet de loi, la décision de communiquer de l'information au commissaire est laissée à la discrétion de ces organismes ou des ministres responsables. J'estime que lorsque le commissaire au renseignement fait une demande de communication de certaines informations, elles devraient lui être fournies.

  3. Le critère établi au paragraphe 11.03(2) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité prévoit que le ministre peut déterminer une catégorie d'ensembles de données dont la collecte est autorisée s'il conclut que l'exploitation ou l'interrogation d'ensembles de données visées par cette catégorie « permettra de générer des résultats » pertinents en ce qui a trait au mandat du SCRS. Cependant, la terminologie utilisée dans les versions anglaise et française de cette disposition est différente : en anglais, les termes utilisés sont « could lead to results » qui est un seuil bas et plutôt large et de toute façon conditionnel; en revanche, la version française avec son « permettra de générer des résultats » est un seuil basé plutôt sur une certitude. Quelle version devrait être retenue? Compte tenu de cette différence dans le langage, je proposerais d'utiliser dans la version anglaise un seuil plus élevé comme « is likely to assist »…le mandat du SCRS.
  4.   
  5. Le titre de commissaire au renseignement devrait être modifié pour mieux rendre compte de sa fonction et pour aider le public à mieux la comprendre. Ainsi, il devrait porter le nom de « commissaire judiciaire au renseignement » [Judicial Intelligence Commissioner ou Judicial Commissioner for Intelligence en anglais].

  6. Enfin, la période de validité des autorisations délivrées en vertu des paragraphes 30(1) et 31(1) de la Loi sur le Centre de la sécurité des télécommunications devrait être d'au plus six mois au lieu de l'année prévue étant donné la nature délicate des cyberopérations actives et des cyberopérations défensives. Tant la législation britannique qu'australienne prévoit une période de validité de six mois pour ce genre d'autorisation, et les dispositions du SCRS dans le projet de loi contemplent une période de trois mois pour des mesures de diminution de la menace qui seront émises par la cour fédérale.

Nous avons continué notre étude du projet de loi et nous vous soumettrons aujourd'hui un certain nombre de propositions d'amendements additionnels, incluant certains reliés aux dispositions administratives de la Loi sur le commissaire au renseignement, ainsi qu'une liste de commentaires et de questions sur certaines parties du projet de loi pour votre considération.

Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui. Nous serons heureux de répondre à vos questions.

Date de modification :